Création 2010
Texte et mise en scène d'Alexis Fichet
CRÉATION AU FESTIVAL METTRE EN SCÈNE, Rennes, du 9 au 13 novembre 2010
En bref...
Hamlet and the something pourri est fondé sur la rencontre explosive et décalée d’un Hamlet de notre époque avec l’artiste contemporain Paul McCarthy, célèbre pour ses performances sur le corps et la société de consommation. La pièce évoque la sortie de l’adolescence, et la manière dont une génération fait face à son héritage, même abîmé. Le titre fait écho à la célèbre phrase de la pièce de Shakespeare : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark ».
Cette pourriture, c'est celle d'une époque où nous avons parfois la sensation d’être empoisonnés (l’eau, l’air, la pensée…). Et cet empoisonnement, comme une drogue, peut modifier notre rapport au monde, notre sensibilité.
La lecture du Hamlet de Shakespeare peut être, elle aussi, une traversée qui modifie cette sensibilité : la folie, les fantômes et l’adolescence y sont des mots de passe vers une déstabilisation intime, et féconde. Ici on ajoute des fossiles, du théâtre, et une vision de l’art contemporain tournée vers l’humour et la dépense physique.
+++ Ketchup dreaming
Installation plastique d'Alexis Fichet et Bénédicte Jolys (réalisation 2012)
Générique
Texte et mise en scène Alexis Fichet
AVEC
Paul McCarthy Thomas Gonzalez
Hamlet Yoan Charles
Ophélie Bérengère Lebâcle
Scénographie Bénédicte Jolys
Lumière Arnaud Godest
Son Frédéric Marolleau
Costumes Laure Mahéo
Administration : Charlotte Hubert-Vaillant
Production Lumière d’août
Coproduction
Théâtre National de Bretagne / Rennes
Khiasma / Les Lilas
Soutien
SPEDIDAM
Le texte de la pièce a reçu l’Aide à la création du Centre National du Théâtre en mai 2010.
Publication aux éditions Les Solitaires intempestifs en novembre 2010.
Durée 1h15
Presse
Le Hamlet de Fichet est en fait le spectacle d’une génération d’adulescents, ressassant le thème musical d’un film culte. Elle prend chair avec une Ophélie et un Hamlet de la France contemporaine qui surgissent à l’entracte, se remémorant leurs années étudiantes, prisonnières de la peur de l’avenir et du monde adulte. C’est là que le spectacle nous amène. Entre le no futur et le no limit, il reste ce vent shakespearien, comme ces sculptures gonflables flottant sur le plateau. Grandir ou ne pas grandir ? That is the question ? – Ouest France, 11 novembre 2010.
Texte
le texte "Hamlet and the something pourri" d'Alexis Fichet est publié aux Solitaires Intempestifs.
Extrait 1
HAMLET : Quand vous sortez nu de votre bain et que votre chat vous regarde, vous sentez bien que les frontières ne sont pas nettes, non ?
(Un temps)
McCARTHY : OK, jeune Hamlet. No problème. C’est la dramaturgie avant tout. Il faut faire le sens. But it would cost you a détour. De nos jours, il faut mettre la nature, j’ai compris ! Natura ex machina. (Un temps. McCarthy semble réfléchir.) On a un arbre, now, au-dessus du father qui dort et qui va se faire empoisonner l’oreille. An apple tree. Tu sors de ton père mort et une apple te tombe dessus, que tu manges, et qui est pourrie. Rotten. Là c’est un peu gag, mais tu dis « il y a quelque chose pourri dans cette pomme », tu as une hallucination à cause de la pomme, empoisonnée, like in white snow, et tu vois un schproumf avec lequel tu te bats, et tu cries la scène de la tapisserie : Un rat ! Un rat ! mais en fait c’est Ophélie, tu te réveilles tu es en train de la mettre nue. Là il faut… something qui interrompt. Sinon c’est trop explicit, trop parental advisory.
extrait 2
PAUL McCARTHY : Tu refais de l’interesting à la place de l’exciting. Je suis… Lost. (Un temps) Je crois qu’on perd la cohérence. Visuelle. Il y avait un artiste… Beuys. Joseph Beuys, tu vois ? Beuys would have done that better. Il aurait fait mieux, avec les marais. Du feutre. Un coyote. Des os et du soufre, des cadavres d’animaux… C’est mieux. Joseph Beuys, c’est rugueux. But, Joseph se voulait shaman. Moi clown. Il faut trouver notre voie clown à nous : the clown’s way in the marais. (Un temps) Go on, dis la suite.
HAMLET : Le fou est comme un aïeul. Il connaît les choses du passé, les amis de jeunesse, et tout ce qui a été englouti par l’espace. Mais il a aussi tout oublié, il ne rêve jamais. Il a tout oublié. C’est une force étrange, l’oubli, surtout pour un fou. Vous imaginez ? Sa journée s’écoule sans passé et sans rêve. Yorick trouve parfois ce que je recherche, parce que son âme et son corps sont autrement connectés. Il est fait de sensations passées, mais qu’il ne reconnaît pas. Passées et désordonnées. Ça circule dans son crâne, posé sur la main d’Hamlet. Par exemple des images de forêts et d’espaces marécageux. J’ai des images assez précises : pour moi, le paysage du fou c’est un champ de marécages sous un ciel gris, tout près d’une forêt de sapins. C’est ce qu’il faut pour voir le fou. Un paysage tournant autour d’une jeune femme noyée, quelques roseaux, une eau puissante et sourde. Vous voyez ? Il faudrait ce paysage pour arriver à y croire. À y voir. Pour lui… Il faut les marais. Cette pourriture sous les pieds, et puis les forêts autour, c’est la condition d’une espèce de folie amoureuse, avec la mort.
extrait 3
OPHELIE : Devinette ?
PAUL McCARTHY : Oh yes ! A devinette !
OPHELIE : Devinette : quel est l’exact opposé du fantôme ?
(Un temps)
PAUL McCARTHY : L’émotnaf ! Il faut créer des émotnafs ! Yes !
HAMLET : Paul… Qu’est-ce que…
PAUL McCARTHY (lyrique) : Oh Hamlet, you don’t know that ? Les émotnafs sont des tableaux animés, des sexy chansons, des animals magiques qui font se rejoindre la matière et le vent, mind and body. Les émotnafs inspirent les pensées et les corps. Les émotnafs sont de petites créatures qui vivent dans les forêts. In woods and nights dreams. À l’opposé du fantôme, elle donnent la vie et la joie. Sur les petits poings serrés des émotnafs, on peut lire life et happyness. Ils se nourrissent d’amour, mais ils en rejettent le double dans la nature, comme les arbres l’oxygène. Love, Hamlet, love ! Les émotnafs redonnent la santé aux apples pourries, ils corrompent le poison et le transforment en vitamines.
OPHELIE (rieuse) : Un jour, par mégarde, dans un bois, je me suis assise sur un émotnaf, et il est rentré en moi. J’ai ressenti un bien-être immense, nouveau. Mon corps se connectait à l’intérieur de lui-même, toutes mes fibres devenaient sensibles et excitées. Ça a été un moment formidable.
Après coup
par Alexis Fichet
J'ai longtemps cru que Hamlet and the something pourri traitait d'écologie, que c'était l'un des sujets principaux de la pièce. J'avais travaillé sur la Deep ecology de Arne Naes, sur L'animal que donc je suis, de Derrida. Je creusais la question des rapports de l'homme à son environnement, et pour moi Hamlet, avec ses fantômes, ses morts et ses fous, Hamlet connectait la question du rapport au monde avec la question du rapport à l'environnement, donc à l'écologie.
Après coup, maintenant que nous avons répété et joué cette pièce, je me rends compte que tout cela n'est pas faux, que ces connexions que je cherchais existent bel et bien dans Hamlet and the something pourri, mais elles ne sont pas aussi centrales que je le pensais. Le jeune Hamlet progresse dans un monde en pleine autodestruction, et c'est ce qui m'avait inspiré le titre de ma pièce. Mais Hamlet and the something pourri traite de manière plus large de la confrontation d'un jeune homme avec le monde d'aujourd'hui, incarné notamment par Paul McCarthy, qui représente aussi bien la génération précédente, l'énergie, la confiance.
La pièce est entièrement construite sur la difficulté à s'imposer d'un jeune homme qui semble porter le poids du monde, et qui se confronte à un vieil homme souvent plus léger que lui. L'écologie n'est que l'une des nombreuses responsabilités dont se charge cet Hamlet. Et c'est McCarthy, mi oppresseur, mi libérateur, qui lui donne la vision d'un futur possible, notamment grace aux plaisirs de la représentation, et de l'humour.
Décembre 2010
Ici, une note sur la scénographie.
Et ici, une vidéo du spectacle.
(Photos : Frédéric Marolleau)